SEUL EN MER POUR 1000 MILES EN 8 JOURS 11 HEURES 8 MINUTES
Une histoire de ma Qualif' Hors Course, un sacré pas vers la Mini Transat 2025 ! ma trace dispo ici : https://yb.tl/qualifmini630
Pour ceux qui ne me connaissent pas je suis Louis Hulet, coureur au large sur le 630, un mini que j’ai acheté en début d’année pour prendre le départ de la Mini Transat 2025. LA course au large par essence, qui me fera traverser l’Océan Atlantique en solitaire et sans assistance en Septembre 2025.
Nous sommes en septembre 2024 : je viens de terminer premier de ma première course en solitaire. 500 miles solo en manche. Inattendu, incroyable et très fort.
Cette course nous a envoyés sur un parcours engagé avec le passage de 4 fronts et des courants dans tous les sens. Je le boucle premier en 4 jours. La MiniTransmanche était aussi l’occasion de faire de belles rencontres avec les autres coureurs qui partagent des projets similaires au mien : des jobs à plein temps, une vie de famille remplie et l’envie irrésistible de se lancer sans tout maîtriser au sujet.
Nous sommes deux semaines plus tard et je repars pour peut-être 10 jours en mer et toujours en solitaire, en Qualif’.
Jour 0 :
Je retrouve le James Caird à Ouistreham, sous les feuilles mortes déposées par les arbres du port. En une journée je le remets en piste et le charge d'un avitaillement succin. Une plongée sous la coque lui redonne la glisse qu’il mérite. La qualif n’est pas une course mais je ne veux pas me traîner non plus.
Je prépare le bateau du mieux possible mais le doute persiste au fond de moi. Est-ce que c’est suffisant ? Est-ce que mon électronique tiendra le coup ? et mes batteries ? et mon pilote ? et mes voiles ? Toutes ces questions se bousculent dans ma tête. Elles viennent de tous les conseils que j’ai entendus et qui recommandent de ne pas partir avec précipitation en abordant sérieusement une telle nav. Suis-je assez sérieux ?
Je décide aussi de me faire confiance. Ne pas dramatiser ni se faire peur. Ce n’est qu’une succession de manœuvres et de réglages, de secondes qui s’écoulent, de minutes qui passent et d’heures qui défilent. Jour après jour je vais décomposer le morceau. Et quel morceau : je m’engage d’abord vers l’Angleterre, dont je vais longer la côte Sud pour m’extirper de la manche vers l’ouest. Après quoi je mettrai le cap au Nord vers l’Irlande. Cela me semble mythique, exotique même.
L’appréhension d’une mer inconnue.
La suite sera une nouvelle histoire : il me faudra rejoindre le pont de l’Île de Ré. Je ne me projette pas. Je n’ai pas les ressources ni l’imagination nécessaire pour me représenter ça. Je ressens par contre une envie furieuse d’y aller et de découvrir cet inconnu. Ce sera, je pense, un beau cadeau à moi-même, remplis d’incertitude, peut-être difficile et sûrement très beau ?
20:37 - Ouistreham
La nuit est chaude et calme. Doucement j’enchaîne la vingtaine de virement nécessaire à me sortir du chenal du port.
J’ai une pensée émue en virant au pieds de la muraille du ferry vers Porstmouth en repensant au “moi de 2015” qui partait rejoindre Southampton pour mes études. A l’époque je n’aurais jamais imaginé me retrouver sur un Mini 6.50 dans ce port à virer à quelques longueurs du ferry pour partir en Qualif vers la Mini Transat. J’y pense et je souris : au même endroit mais pas sur le même bateau. Ces petits pas de côté sont de précieux clins d’œil qui permettent de savourer pleinement l’instant et la chance que j’ai de me trouver là.
Jour 1 :
Pour ma première nuit vers l’Angleterre je me fais cueillir par une mer bien formée comme sait le faire la Manche. Le doute est toujours présent.
Je réduis ma grand-voile en prenant 2 ris. Difficile de raconter l’inconfort mais dans mon petit bateau de 6,5 m je me retrouve à avancer vers le vent au prés dans 26-28 nœuds (comprenez : le pont du bateau est rincé, ça tape, le bateau résonne et vibre et c’est pas confortable du tout). Je suis bringuebalé de crête en creux et de creux en crête. Tout bouge là-dedans et je m’acclimate difficilement à cette absence de repère fixe. Mon estomac lui s’acclimate encore moins et me le fais (vite) comprendre.
lu dans le livre de bord
12:11 : “3 vomis”
17:00 : “pluie nuage, encore 2 vomis”.
L’expérience donne confiance et j’arrive au matin à Fareway la première marque au large des falaises de l’Île de Wight et du phare des Needles, mythique repère de la course au large anglo-saxonne. Malgré l’inconfort je suis très heureux de ce passage. La lumière y est particulière, à travers les nuages une forte luminosité rend la mer argentée et les falaises apparaissent encore plus blanche malgré la distance.
Étape après étape.
Je coche là ma première marque de parcours obligatoire. La qualif est dite hors course mais le parcours se doit de faire 1000 Miles et je dois passer 5 marques de parcours bien précises en justifiant ces passages. Une photo des bouées, de ma position GPS et d’un signe distinctif pour bien l’affirmer : oui c’est bien moi qui passe cette marque je ne l’ai pas volé !



Jour 2 :
Après cette mise en jambes difficile pour le corps je tombe dans des calmes bien trop calmes au sud de l’Angleterre surtout lorsque je dois faire face au courant et que ce coquin me fait faire du “sur place”. 6h dans un sens, 6h dans l’autre c’est la loi de la Manche. Le calme me permet de m’amariner et je prends le temps d’apprécier la route. Le moment est bon. Je réussis à m’enfiler un lyoph’ qui me redonne de l’énergie en plus des grignotages.
Jour 3 :
La nuit a été généreuse en vent et c’est sous spi que je suis arrivée à l’extrémité ouest de la manche. J’ai eu le plaisir d’être accompagné pendant la nuit par les dauphins. Je ne m’y habitue pas : les bulles de leurs sillages s’illuminent dans les lueurs faibles de la nuit grâce au plancton.
Je suis sous escorte rapprochée de torpilles incandescentes.
8:00
Je double le Cap Lizard. Une autre marque mythique qui marque la ligne des départs officiels des records autour du monde avec l’Île d’Ouessant. De mon côté je ne vais pas taper un record mais y penser et dépasser cette pointe me fait sourire.
Je le sais dans ma tête la mer d’Irlande ne sera pas toute calme et paisible. J’anticipe tout ce qui peut l’être. Le ciel est toujours cotonneux avec ses 50 nuances de gris. Le moral est bon je me sens prêt pour la suite. A cet instant tout commence. J’ai pu prendre quelques info météo via mon portable (pas interdit sur cette épreuve). Mentalement ma Qualif commence ici.
Je suis prêt.
Jour 4 : Montée vers Coningbeg pendant toute la journée.
Après le dépassement de Land’s End je traverse la sortie du DST qui marque le rail des cargo, l’autoroute de la mer. J’ai confirmation à la radio VHF qu’un porte-conteneurs de 300 m lancé à 25 nœuds se décale légèrement pour m’éviter. Bref, serrer les fesses mais ne pas trop faire le malin surtout quand on n’est pas rapide sur l’eau.
Je ressens encore un peu d’appréhension sur la météo que je vais pouvoir trouver en mer d’Irlande, mais c’est agréable de se sentir dans un autre monde. Je sens bien que je mets les pieds là où je ne suis jamais allé auparavant. Je ne connais pas la côte anglaise à l’Est, l’Irlande encore moins. Tout m’est étranger et je grimpe plein nord dans l’inconnu.
Soudain, j’ai la surprise de sentir des odeurs d’herbe mouillée, de fumier, de cochon et de chemins de terre détrempée. Je deviens fou ? Ce sont les odeurs de l’Irlande que le vent m’apporte, je suis sous le vent de ces terres. A croire que mes sens sont décuplés. Ça rappelle la campagne bretonne mais ce n’est pas la terre que je connais, c’est l’Irlande, un autre pays. J’ai vraiment l’impression d’avoir déjà fait un long voyage.
Bêtise
Par une mauvaise manip de mon pilote je vire de bord et je me retrouve complètement en vrac avec la quille, les voiles et tout le bateau dans le mauvais sens. Je dépense beaucoup d’énergie pour remettre le bateau vers le bon cap, palan de quille à reprendre, bastaques, voiles à régler.
Ces erreurs ne seront pas acceptables en course et même hors course j’aurai pu y laisser des plumes. Mais là ou je suis et seul, je m’efforce de ne pas me précipiter et de poser et décomposer mes gestes. J’arrive à rester serein alors que le vent monte encore et que j’approche de la marque Coningbeg à enrouler. Bêtement j’attends d’arriver à la marque pour prendre le deuxième ris. L’anémo relève des rafales à 30 nœuds. La nuit vient de tomber, la cote est là au nord sombre et inconnu. Je tâche de ne pas rater la marque. Je manœuvre je souffle et ça repart. Le bateau abat en grand pour mettre le nez au Sud. Ça y est je l’ai passé.
Je relève ma position et l’heure. Le bateau lui accélère avec le vent dans le dos. Je passe la nuit sous solent seul sans spi pour me reposer dans une zone ou il y a peu de pécheurs et de traffic mais avec une belle moyenne de 8 noeuds.
Jour 5 : L’autoroute du kiff !
Le lendemain matin j’envoie le spi medium dans un vent qui descend rarement à 15 nœuds et s’envole souvent au-dessus de 20 nœuds. Je suis sur l’autoroute du kiff, le bateau est réactif, véloce et vif, il rebondit de vagues en vagues et je retape ma vitesse max sur le bateau : 16 nœuds.
Le soleil fait enfin son apparition depuis ces 5 jours. Je sens que je franchis un palier. Je suis au cœur de ma qualif, pleinement au large de toute terre, à l’ouest des îles Scilly et de Ouessant.
Un léger vertige me prend au ventre et c’est bon. Je suis loin de tout et en confiance sur le James Caird mais je sais qu’en cas de pépin je suis loin des secours. C’est une sensation bien particulière avec laquelle je me sens bien et étrangement à l’aise. Ce sentiment d’être loin est exceptionnel et un peu mystérieux. Ça rend humble et je me sens petit.



Je n’oublie pas que de l’autre coté de la filière c’est la fin.
Je m’attache en permanence comme pour éviter de me poser cette question, mon moral fait des hauts et des bas qui sont vécues intensément. Des inquiétudes des doutes et des choix, j’avance.
Il faut éviter de prendre des risques inutiles mais je continue d’envoyer en accélérant sur la houle, accompagné par les dauphins qui comme moi doivent se sentir au bon endroit au bon moment.
Moment précieux : journée à 200 miles* sans forcer !
* c’est plutôt une grande distance imaginez Paris → Rennes par la force du vent.
Le lendemain je continue à cette même allure vers le plateau de Rochebonne au large de l’île de Ré ma prochaine marque.
Jour 6 : Douche froide.
Je me surprends à constater que le niveau de mes batteries, essentielles pour alimenter le pilote auto, ne tiendra pas la nuit. Gloups. Je me sens bien idiot. Depuis le début de mon projet je n’ai pas eu de soucis d’éléc mais il ne faut pas faire l’autruche. Ok je le sais : je ne vais pas passer la nuit sous pilote. Autant dormir pour recharger mes batteries et être prêt à barrer quand il faudra.
Il est 2h du mat, l’alarme batterie retentit. Je m’habille chaudement, je fais des réserves de barres de céréales et d’eau dans le cockpit et go c’est partis pour barrer. L’objectif est de dépasser Rochebonne à vu. J’ai tout coupé à bord pour économiser de quoi communiquer avec d’autres bateaux en ultime recours ou “secours” c’est selon. J’identifie les bouées du plateau et je le contourne à vu.

Ouf, soulagement. Une fois dépassé et n’étant pas en course, j’affale toutes mes voiles et je me mets à la cape en attendant le jours suivant, il doit être 6h du mat. Comme je l’ai entendu avant de partir, ce n’est pas une course. J’applique.
Jour 7 : L’arrivée sur Rochebonne et l’arrivée des problèmes
Le lendemain je passe la majeure partir de mon temps à la barre et je renoue avec la terre et la civilisation. Je passe sous le pont de l’Île de Ré et ses voitures que je peux entendre et je me faufile entre ses pieds. A ma gauche une île station balnéaire et à ma droite le port de commerce de la Pallice. Très peu sauvage.
Je valide ainsi avec la marque du plateau de Rochebonne et le pont de l’Île de Ré. 3ème et 4ème marques de parcours.
Dans ma tête il faut rentrer mais attention à ne pas raccourcir la route dans mon imaginaire. Problème, même avec mon troisième panneau solaire volant je n’arrive toujours pas à recharger suffisamment mes batteries et je me prépare à passer une deuxième nuit à la barre.
Je m’habille du mieux que je peux pour affronter cette deuxième nuit et je me lance à la barre. A ce moment, je repense à cette discussion que j’avais eu avec les concurrents de la Mini Transmanche qui avaient rencontré des problèmes d’énergies. Ils parlaient d’attacher un petit bout à la barre du bateau pour la maintenir dans l’axe. J’essaye sans grand espoir et finalement ça marche très bien ! Je réalise que je peux faire avancer mon bateau au prés tout seul sans pilote, fantastique.
Jour 8 : Le retour maison avec le petit bout magique et la croisée des copains
La remontée est bien engagé et je fais cap plein Nord. J’en profite pour faire ma mesure de relevé au sextant, pas évident avec tous ces nuages mais indispensable pour valider cette épreuve.
Au nord de Belle-Ile, alors que je manœuvre pour changer de voile j’ai le plaisir d’être contacté sur ma VHF. C’est un autre ministe (Salut Adrien !) qui est en course sur la Duo Concarneau. Je ne m’attendais pas à une telle surprise. Gérer ses doutes ses questions ses joies avec soi-même pour prendre les bonnes décisions m’allait bien. Là je suis tellement surpris d’être contacté par ceux qui sont sur le même type de bateau que moi que je ressens une vague de fond qui m’emporte. Mais oui je me rapproche bien de Lorient.
La nuit est fraîche et piquante quand j’enroule ma dernière marque, la cinquième, au Glénans. Le ciel étoilé et étincelant et dans le froid qui me pique les mains je prends le temps d’apprécier ce ciel. Mer calme, j’enroule et je mets cap sur la maison. C’est curieux de revenir à Lorient sur ce plan d’eau familier après une si grande boucle. Je suis parti il y a moins d’un mois et j’ai enchaîné un convoyage Lorient→ Ouistreham suivis par ma première course en solitaire en manche et la je rentre de qualif de 1000 Miles après avoir croisé le sud de l’Irlande et le pointe de l’Île de Ré. C’en est vertigineux et grisant.
Jour 9 :
7:45 - Lorient,
Je remonte le chenal, je passe la citadelle de port Louis après une vingtaine de virements et je pose le James Caird comme une fleur au ponton. Ça y est c’est fait !
Je rentre chez moi à pieds, tout simplement, en croisant mes collègues qui arrivent au travail.
Il me restera du rangement, un dossier de qualif à envoyer avec tous mes justificatifs, mes traces mes relevés de point astro et quelques semaine plus tard j’apprends que ma qualif est validée.
Je ressens que je viens de valider un sacré step vers la qualif de la Mini Transat. Je ne me sens toujours pas au niveau de l’engagement qu’il faudrait, j’ai toujours mes boulets et mes doutes qui me freinent à me poser trop de question, je reste lent à la détente mais malgré tous ces points j’ai aimé cette épreuve pour le défi qu’elle représente. Naviguer en solo en autonomie sur 1000 Miles et pas sur un parcours de Transat. Là il s’agissait de tricoter le long des cotes, du traffic, des pécheurs, des courants, ce qui est bien plus exigeant que le grand large ou l’on ne croise personne.
J’en ressors heureux et confiant pour la suite.
PS : J’aimerais vous partager le fameux surf à 16 nœuds avec dauphins soleil et sous spi loin de tout quand j’aurais réussi à tirer le meilleur de ma camera 360 pas évidente à éditer. Video to come !
Accrochez-vous !